Tantra
: DU PLAISIR A L’ EXTASE
Interview de Sudheer Roche
par Fabienne Laurés pour le
journal Réel.
Psychologue clinicien, Sudheer Roche conduit depuis une vingtaine
d’ années des groupes d'initiation et de formation
au
Tantra.
Qu'est
ce qui vous a conduit au Tantra ?
Sudheer Roche : C'est l'aboutissement d'un cheminement
personnel.
Catholique, j'ai d'abord cherché dans la religion les
réponses à mes questions. Les réponses
proposées restaient extérieures à ma
réalité ; j’ étais
coupé en deux :
d’un coté le vécu quotidien, de
l’autres des
idéaux inaccessibles. Je ne pouvais m’
empêcher de
voir autour de moi l’hypocrisie créée
par ce
divorce. Je me suis donc tourné vers la psychologie, elle ne
regarde pas ce qui est à travers l’idée
de ce qui
devrait être. Âpres des études de
psychologue
clinicien, j'ai suivi et me suis formé à la
psychothérapie : dynamique de groupe, psychodrame,
Rebirthing et
travail corporel et émotionnel reichien.
A 27 ans, j'ai rencontré un maître spirituel. J'ai
suivi
les enseignements d' Osho pendant des années à l'
ashram
de Poona, en Inde; j'y animais des groupes de Rebirthing et
d’autres approches de la respiration.
Dans cette communauté, de nombreux
psychothérapeutes et
chercheurs occidentaux se sont rassemblés. Notre vie
quotidienne
était imprégnée d’une
dimension
méditative très forte, nous vivions comme dans un
bain de
conscience.
Une synthèse s'est opérée peu
à peu entre
la psychothérapie occidentale et les espaces de la
méditation. La thérapie nous permettant une
compréhension psychologique de nos mécanismes de
fonctionnement . La méditation, nous ouvrant aux dimensions
plus
subtiles de l' énergie .
De retour en France, j'ai poursuivi ma pratique. J’ai suivi
d'autres enseignements, d’autres maîtres et j'ai
commencé à transmettre ce que j'avais
reçu en en
animant des groupes de Tantra.
Qu'est-ce
que le Tantra ?
Le livre de référence du Tantra est le "Vigyana
Bhairava
Tantra"; il vient de l’ Inde, il a 5000 ou 10.000 ans
d’
âge; il recense et condense sous forme d'aphorismes, les
recherches et les expérimentations de nombreuses et
très
anciennes écoles de Tantra.
Tantra signifie : "méthode", Vigyana Bhairava Tantra :
"méthodes d'expansion de la conscience".
Dans leur simplicité et leur étonnante profondeur
ces
pratiques millénaires dépassent et
élargissent les
compréhensions de nos psychologies occidentales.
Quel
est le lien entre entre
psychothérapie et Tantra et comment expliquez vous son
succès en Occident aujourd'hui ?
Freud, Jung et Reich ont préparé le terrain pour
un
renouveau du Tantra en Occident.
L'approche de la psychologie et celle du Tantra ont ce point en commun:
elles sont pragmatiques . Il n’y a pas de vision morale, il y
a
simplement la rencontre de ce que nous sommes.
Les religions ont fait l’inverse : elles nous ont
séparé de notre réalité en
nous proposant
un idéal de perfection impossible à atteindre ;
elles ont
implanté en nous la culpabilité.
Avec la psychanalyse et les diverses formes de
psychothérapies
inspirées d’elle, l'homme retrouve son
humanité; il
valorise ce qu’il est ; il se réapproprie ses
désirs et sa sexualité.
Vous
dites que le Tantra est avant tout un
état d'esprit ?
Oui, le Tantra , ce n’est pas adhérer à
des
croyances ou à des dogmes ; ce n’est pas
répéter des rituels extérieurs
à soi .
Ce n’est pas non plus appliquer des techniques pour atteindre
des
états extraordinaires. Le but n'est pas de
contrôler l'
énergie mais de s'y abandonner, entrer dans un
état de
"non-faire" , sans effort, se laisser guider par l’
énergie. Le grand maître tantrique bouddhiste,
Tilopa, ne
donne aucune technique; voici ce qu’il enseigne:
“soyez
détendus et naturels”, “soyez comme un
bambou
creux”, quand le bambou est vide le divin peut jouer sa
musique.
Le Tantra n’impose rien, il n'est pas normatif ; il ne dit
pas
vous devez faire ceci et pas cela. ; il n' évalue pas en
terme
de bien ou de mal. Les clefs sont : non jugement, conscience et
relaxation.
Soyez ce que vous êtes sans rien rejeter. Tout peut
être
une occasion de transformation. Il suffit de se détendre,
regarder et vivre ce qui se présente dans la
lumière de
la conscience.
Ne pas chercher à changer mais à
connaître. La
conscience transforme, pas la volonté ; car la
volonté
reste soumise aux conditionnements reçus. Le moi qui se veut
à l’origine du changement est l’endroit
le plus
conditionné.
Dans une atmosphère de conscience, les empreintes
négatives des conditionnements contraires à la
vie
s’effacent. Nous retrouvons la
spontanéité perdue ;
celle d’avant la chute, une spontanéité
originelle
, la source même de la création.
Comment
pratiquez vous ?
Dans les groupes nous travaillons sur le corps, sur la respiration, sur
la sexualité, sur nos mécanismes mentaux. Nous
apprenons
à ressentir l' énergie, à
repérer nos
façons d’ interférer avec
elle.
Le Tantra nous introduit dans une autre dimension , une dimension
d’ énergie; une énergie sans cesse
renouvelée, bien au-delà du sexuel et du
psychologique.
le Tantra va au delà de la libération
sexuelle.
C’est bon d’oser aller avec ses désirs ,
de vivre
ses fantasmes etc... Seulement, avec “mes
désirs”,
“mes fantasmes” je reste dans le psychologique; le
champ
des possibles est limité par le “moi-je”
;
l’énergie est confinée dans la
sphère de
l’ego ; il y a plaisir ou joie mais pas transcendance.
le Tantra est beaucoup plus qu’une thérapie
sexuelle. La
première étape est thérapeutique :
être
capable d’avoir du plaisir. La seconde est spirituelle :
s’abandonner dans le plaisir. On passe de l’avoir
à
l’ être, d’ avoir du plaisir à
devenir le
plaisir.
Quand, dans l’acte sexuel, je m’abandonne aux
plaisirs et
aux délices de la rencontre, le “je”, le
sujet se
sacrifie. Le moi disparaît. Dans cette disparition
l’éternité est
révélée.
Voila la vision du Tantra : La clef n’est pas dans la
jouissance
mais dans la dissolution de celui qui jouit . Le danseur
disparaît dans la danse. Il n’y a plus de
dualité.
Explicitons. Nous cherchons la satisfaction dans l’
érotisme, dans le plaisir des sens. Le Tantra ne refuse pas
cette recherche, il la valorise comme une étape; cette
recherche
, par la part de frustration et de déception
qu’elle
engendre nécessairement , va conduire à une
découverte plus proche de l’essentiel.
Le contentement ultime ne se trouve pas dans le plaisir des sens ni
même dans les joies du partage, il est la
révélation d’un plan de conscience
supérieur. Celui ci se révèle dans le
coeur, dans
le plan de l’incarnation, quand l’ego est
absent.
Quand nous touchons ce plan, nous avons le sentiment d’
être en dehors du temps , nous vivons un moment d’
éternité, un état de grâce .
Cet état
n’appartient pas au plan des sensations du corps ou de
l’affectivité. Les mystiques l’
appellent
“béatitude” ou
“extase”
littéralement “se tenir en dehors” :
hors du corps ,
hors du temps.
Lorsqu’elle n’est plus limitée par
l’ego,
l’ énergie s’ étend dans la
conscience. Dans
cette expansion, la vague se reconnaît dans l’
océan.
Cet état ne peut pas être atteint par la
volonté
car celui qui le désire est justement ce qui lui fait
obstacle ;
en ce sens il n’y a pas de chemin de l’ extase;
nous
pouvons seulement en créer les conditions.
Il faut comprendre comment la recherche de la jouissance ou du bonheur
, limite le champ de l’ expérience à
celui qui le
recherche. Le plaisir trouvé (même s’il
est
partagé à deux) ne fait alors que confirmer,
réaffirmer et renforcer la séparation
première,
celle du sujet et de l’objet.
Cette séparation est à la racine de toutes nos
souffrances. .
Faites-vous
l'amour pendant les
séances?
S.R. Non. les stages sont comme un lieu et un temps
d’initiation;
ce qui est découvert en groupe pourra ensuite se
révéler et se développer dans
l’intimité de la relation à deux.
Comment
s'y prendre pour jouer avec
l'énergie ?
Faire l'amour consiste le plus souvent à faire vite monter
l'excitation jusqu'à son point culminant, pour la dissiper
dans
l’ éjaculation . On l’appelle
“orgasme du
sommet”; il est suivi d’une chute, l’
énergie
est perdue.
Dans le Tantra, on “reste avec le feu du
début” et
on “évite les cendres de la fin” . Les
partenaires
font monter un peu l'excitation, puis relaxent. Ils la font
monter
un peu plus puis relaxent encore et ainsi de suite. L'
énergie
de l'excitation monte et se convertit en une détente chaque
fois
plus profonde. De cette profondeur, une autre forme d’orgasme
survient ;
on l’appelle “orgasme de la
vallée” . Les deux
corps vibrent ensemble et se fondent en une pulsation unique. Dans
cette vibration, les limites du corps physique ne sont plus
perçues; elles sont transcendées, on entre dans
des
états de paix et d’
extase. Il n’y a pas de perte d’ énergie
et
l’effet peut durer plusieurs jours ou semaines .
Cette
fusion est-elle l'aboutissement du
Tantra ?
Cette fusion n’a pas de limites , elle peut s’
étendre à tout l'univers. C’est une
expansion de la
conscience , une expansion de l’ être.
Lorsque dans la relaxation , la lumière de la conscience
pénètre la sexualité ordinaire
celle-ci se
transforme; l’acte sexuel devient une union
sacrée, une
union spirituelle; et cette qualité sacrée
s’
étend d’elle même à tous les
aspects de notre
vie.
l'
Énergie sexuelle est donc la base
de l' énergie spirituelle ?
Ce qui est en haut est aussi en bas et réciproquement .
Lorsque
la conscience s'incarne , l'énergie vitale se
sublime.
Qui
pratique ?
Ceux qui veulent vivre leur sexualité autrement. Ceux qui
pressentent qu'il y a dans la sexualité autre chose que le
plaisir, ceux qui ont soif d’ une autre dimension.
Les approches de l'homme et de la femme sont-elles
différentes ?
Oui différentes et complémentaires : Chacun
possède une partie du puzzle. L’homme est
focalisé
sur le sexe, il pénètre il agit. La
femme est
présente dans les seins, elle aime, elle reçoit ,
elle
inclut. Il existe une méditation
réservée aux
femmes où elle entre dans ses seins et elle devient ses
seins ...
L'homme initie la femme à la sexualité, la femme
initie
l'homme à l'amour.
Quand il fait l'amour, l'homme éveille l' énergie
sexuelle de la femme. La femme laisse entrer l' énergie
sexuelle
de l’ homme qui monte jusqu’a son coeur. L'homme
laisse
rentrer l'amour de la femme dans son coeur, d’où
l’
énergie redescend dans son sexe. Dans ce cercle d’
énergie , une alchimie s' opère entre le sexe et
le
coeur. le coeur gagne le feu du bas , le sexe gagne la douceur du
coeur. Les deux énergies fusionnent, elles ne fonctionnent
plus
de façon séparée .
Peut-on
pratiquer entre personnes de
même sexe ?
Oui mais la polarité des énergies ne pourra pas
jouer
à fond, car elle est liée a la biologie. Certains
hommes
sont plus féminins, certaines femmes plus masculines, mais
la
polarité reste incomplète ; le cercle
d’
énergie ne peut pas les mener au
bout du chemin.
Le bout du chemin?
Trouver l' unité de l'homme et de la femme à l'
intérieur de soi-même. Les noces alchimiques , un
état où notre partie masculine et
féminine font
l'amour ensemble, où nos énergies s’
unifient, un
état de félicité permanente ,
"Mahamudra" le grand
orgasme .
Il s'agit de l'orgasme des mystiques ?
Oui dans cette “union mystique” il n’y a
plus de
manque de l’autre . Libre de cette dépendance on
commence
vraiment à aimer; car l’amour est alors devenu un
état d’ être.
Comment
dépasser le manque de
l’autre?
Première Clef : Être centré en soi
même.
“Dans la joie de retrouver un ami,
pénétrez votre
joie” fondez vous en vous même au lieu de chercher
à
vous fondre dans l’autre . Ce que vous cherchez se trouve
à l’ intérieur de vous . Le miracle est
en vous .
L’autre est l’occasion de trouver
en vous l’universel ; c’est à dire
l’endroit
où “je” et “tu” ne
sont pas
séparés.
Le paradoxe est celui ci : plus je célèbre en mon
temple
intérieur l’ avènement de cette joie
plus cette
joie va d’elle même rayonner vers
l’autre. Nos
temples ne sont pas vraiment indépendants , ils sont
reliés ; ils font partie d’un ensemble plus vaste.
Deuxième Clef : Nous cherchons la satisfaction dans
l’autre, dans un objet extérieur. Cet objet nous
fascine
et nous y perdons notre conscience.
Quand, dans la recherche du plaisir, on amène de la
conscience,
on réalise que l’objet
désiré ne tient pas
réellement sa promesse. Il satisfait partiellement et
momentanément tout en laissant un vide impossible
à
combler.
Généralement nous évitons de
rencontrer cette
frustration; d’où une surenchère
d’objets,
une frénésie, une boulimie de consommation ;
l’obsession de l’objet occupe tout
l’espace
intérieur. On en veux toujours plus pour ne pas rencontrer
lemanque.